Par Laurent Marcellier dans Pleine Vie
Radieuse, passionnée, sincère, rieuse, engagée... c'est Julie Gayet. Elle est, à partir du 21 octobre, à l'affiche de Poly, d'après le célèbre feuilleton de Cécile Aubry des années 1960.
Depuis près de trente ans, la comédienne oscille entre cinéma d'auteur (Huit fois debout) et comédies populaires (C'est quoi cette famille ?) avec le même bonheur et le même amour du cinéma qui l'a menée à fonder sa société de production et de distribution, Rouge International. Au catalogue, des fictions et des documentaires ouverts sur les genres et les ailleurs (L'Insulte, Grave, The Ride, Visages Villages...). Mais c'est sa liaison avec François Hollande pendant le quinquennat de l'ancien président qui a braqué les projecteurs sur l'actrice discrète, fille d'un chirurgien et d'une antiquaire. Nicolas Vanier la met en scène dans Poly, inspiré du fameux feuilleton des sixties écrit par Cécile Aubry (à qui l'on doit également Belle et Sébastien, en 1965) disparue en 2010. Julie Gayet interprète la mère émancipée d'une petite fille décidée à sauver le poney Poly, maltraité par un odieux directeur de cirque interprété par Patrick Timsit.
Qu'est-ce qui vous a plu dans Poly ?
J'aimais la belle relation entre cette mère divorcée et sa fille en souffrance : la séparation dans une famille reste un déchirement. Le fait que Poly parle, comme toujours chez Nicolas Vanier, de la nature et du lien de l'homme à l'animal. Et aussi la possibilité de replonger dans une période récente, avant Mai 68, qui pouvait rendre compte de l'évolution de la société en faveur des femmes notamment, un sujet qui m'est cher. Hier encore, les femmes n'avaient pas le droit de conduire, de voter, de penser. "On va prendre le droit", dit Louise, que j'incarne. J'ai eu un immense plaisir à dire ces dialogues qui prônent des combats à gagner, mais avec douceur.
Cécile Aubry reste une pionnière méconnue. Elle était autrice, réalisatrice pour la télévision. Mehdi El Glaoui est né de son mariage avec le fils du pacha de Marrakech...
Oui. Et Nicolas Vanier, après le film Belle et Sébastien(2013), lui rend une fois encore hommage. Avec l'accord de Mehdi, il a transformé Pascal, le héros du feuilleton de 1961, en Cécile. Le prénom n'est évidemment pas anodin. Donner à un personnage féminin le rôle moteur permet à une petite fille de s'identifier. Et puis, un petit garçon peut aussi se projeter dans Cécile, je me suis bien identifiée, enfant, à Charlie Chaplin, à Jean-Paul Belmondo et surtout à Pierre Richard, tellement je suis maladroite !
D'Agnès Varda à Nicole Garcia en passant par Céline Sciamma, ces réalisatrices ont marqué le cinéma. Vous leur avez consacré un documentaire, Cinéaste(s), en 2013. Quels points communs leur trouvez-vous ?
Elles mettent souvent en lumière une figure féminine et offrent des rôles à des comédiennes de plus de 50 ans, puisque, à cet âge-là, nous entrons malheureusement dans un long tunnel. Je l'affronterai moi-même dans deux ans. Les réalisatrices abordent aussi certaines thématiques particulières aux femmes qui peuvent changer les regards, je pense à Proxima, d'Alice Winocour, sur la mission d'une astronaute française. De la même façon, la féminisation de la science a mis en avant des maladies qui concernent les femmes et seraient peut-être restées à l'écart, l'endométriose par exemple.
Depuis 2007, vous dirigez Rouge International, une société de production et de distribution de films. On ignore que Julie Gayet est aussi une femme d'affaires ?
Je suis une passionnée discrète. Rouge International a sans doute mis l'accent sur mon côté guerrière. Le nom de la structure est un bon résumé de ma démarche. Je tenais à ce qu'il soit français et qu'il associe à la fois la féminité - le rouge du rouge à lèvres - et l'engagement. International parce que, et c'est notre devise, "l'universel commence quand on pousse les murs de sa cuisine. " Oui, c'est en étant le plus sincère que l'on atteint l'autre.
Et vous avez la réputation d'être cash ?
C'est certain ! On peut lire en moi comme dans un livre ouvert. Je parle franchement mais, plutôt que le conflit, je préfère la discussion et surtout la nuance. L'art, c'est la nuance.
Vous êtes engagée dans moult causes et associations féminines. Adolescente, étiez-vous déjà révoltée contre les injustices ?
Révoltée, je ne sais pas, mais je ressentais l'inégalité entre hommes et femmes, et cette injustice ne m'a jamais lâchée. J'ai toujours eu ce questionnement et la volonté de faire bouger les choses dans ma famille. Pourquoi mes frères ne débarrassaient-ils pas la table ? Ils l'ont fait et, aujourd'hui, ils passent l'aspirateur. Inversement, si j'ai joué au foot, c'est parce qu'ils étaient là.
Vous vous définissez comme une optimiste invétérée. D'où vient ce rapport au monde ?
J'ai été convaincue très jeune qu'il y avait une urgence à vivre le temps accordé, qu'il fallait prendre l'existence à bras-le-corps et, même dans les épreuves, j'essaie de me raccrocher à un élément positif. Mon père, chirurgien, m'emmenait toute petite à l'hôpital. J'ai pris conscience de la mort à 7 ou 8 ans, et j'ai su alors que l'on se devait de redonner aux autres, de soutenir les plus faibles, de les aider, de les protéger puisque l'on avait la chance d'être en bonne santé. Vers mes 15, 17 ans, dès qu'un malade avait besoin de visite, j'allais faire le clown dans sa chambre.
Comment êtes-vous devenue comédienne alors que vous appartenez à une dynastie de médecins ?
Le déclic est venu en cours de français. Un professeur nous proposait, après avoir lu un livre, de regarder son adaptation à l'écran. Découvrir Les Raisins de la colère de Steinbeck a été un choc énorme. De là est née ma passion du cinéma. Depuis, je n'ai jamais cessé de réfléchir à la mise en scène et à l'histoire du septième art. Mon père tenait à ce que je fasse des études et il avait raison, c'est une période où l'on se construit, c'est tellement merveilleux d'apprendre. Mais j'étais déterminée à devenir actrice et à gagner ma vie ainsi, et c'était une évidence que l'on me laisserait ensuite choisir le métier que je voulais faire. Les femmes de ma famille ont toujours été indépendantes financièrement. Mon arrière-grand-mère a été la première femme médecin du XXe siècle.
Alain Gayet, votre grand-père, était un chirurgien célèbre et un héros de la Libération. Que vous a-t-il transmis ?
L'importance de nos racines, de notre terroir, de la famille. Et j'ai hérité de son caractère : une pugnacité, un entêtement, une attitude - défendre ses idées, parler fort -, cette façon très directe d'aborder les choses. C'est peut-être une des raisons pour lesquelles je suis devenue productrice. Concrètement, il fallait que ces films existent pour donner à voir le monde différemment.
Vous poursuivez, avec la comédienne Judith Henry, la lecture dans les théâtres de Je ne serais pas arrivé là si... Soit 27 témoignages de femmes d'après le livre d'Annick Cojean (éd. Grasset). Vous-même, vous ne seriez pas arrivée là si...
Si je n'avais pas rencontré Agnès Varda à mes tout débuts et vécu une grande amitié avec elle. Agnès est non seulement fondatrice de mon parcours dans le cinéma, mais elle a été aussi un modèle par sa vie privée. Grâce à elle, j'ai su que l'on pouvait faire ce métier en ayant des enfants.
Plusieurs livres vous ont disséqué, vous n'avez réagi à aucun ?
Je ne veux pas commenter de faux livres, des biographies réalisées sans mon consentement. Ce qui est important et surtout éloquent, c'est ce que l'on perçoit de moi à travers mes actes, les films que je produis, ceux dans lesquels je joue.
Dans Les Leçons du pouvoir (éd. Stock) François Hollande écrit : "Julie a cette aspiration au bonheur qui rend la vie plus douce ."
Voilà ! François a su encore une fois faire la synthèse parfaite !
FAN DE BALLON ROND
Sportive et footballeuse, Julie Gayet a occupé dans sa jeunesse les postes d'attaquante puis de gardienne de but.
"Une belle métaphore de la vie. Je suis restée capitaine de mon équipe, même en tant que goal. J'aime les jeux d'équipe et j'aime fédérer : être tous unis pour un film, derrière un réalisateur. "
Avec Rouge International, elle a produit Les Joueuses #paslàpourdanser, un documentaire de Stéphanie Gillard sur les championnes de l'Olympique lyonnais, sorti le 9 septembre 2020, pour les 50 ans du foot féminin.
LA DEMOISELLE DE ROCHEFORT
Formée au chant lyrique, Julie Gayet entend renouer avec cet art "pour le plaisir. Je n'ai pas d'album en vue", sourit-elle. La musique est toujours au cœur de sa vie d'artiste, et elle a entrepris le projet de Sœurs Jumelles, un festival qui mettra à l'honneur, en juin 2021, "le monde de la musique et de l'image : cinéma, télévision, publicité, jeux vidéo, design sonore, etc. "Pendant trois jours, les festivaliers assisteront à Rochefort à des masterclasses, des rencontres, des débats, à un hommage rendu à Michel Legrand et à des concerts, notamment de Benjamin Biolay, avec qui elle a déjà joué dans trois de ses clips.
JULIE GAYET EN 4 DATES
1972 : Naissance le 3 juin à Suresnes (Hauts-de-Seine).
1996 : Select Hôtel, de Laurent Bouhnik, lui vaut le prix Romy Schneider.
2015 : Joue son propre rôle dans la série Dix pour cent, diffusée sur France 2.
2020 : Tourne C'est quoi ce papy ?,de Gabriel Julien-Laferrière.
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